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La news : En France, une Ă©lection ni-ni article publie par RAPHAĂ‹L LIOGIER
En France, une Ă©lection ni-ni article publie par RAPHAĂ‹L LIOGIER
12/04/17 23:56 - Pour la première fois dans l’histoire des
trois dernières républiques, les deux
candidats favoris à l’élection présidentielle
française récusent leur appartenance à la
droite ou Ă la gauche, ou mĂŞme au centre, de
l’échiquier politique.
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Marine Le Pen, cheffe de file du Front
National, un parti dit d’extrême droite, a
tenté d’en exclure le fondateur — son propre
père Jean-Marie — qu’elle trouvait trop Ă
droite. La candidate, qui selon les sondages
devrait arriver en tĂŞte du premier tour de
l’élection, reproche au président socialiste
François Hollande d’avoir abandonné les plus
faibles et les exclus — bref, d’avoir
abandonné les idéaux de solidarité sociale de
la gauche. Au contraire en son temps M. Le
Pen reprochait à François Mitterrand, premier
socialiste à être élu sous la Vème
République, en 1981, son monstrueux et «
nuisible » gauchisme.
Lors du grand débat télévisé du mardi 4
avril, les mots qui sont revenus le plus
souvent dans la bouche de la leader du Front
National n’auraient pas effleuré celle de son
père : « chômeurs », « exclus », « pauvreté
», « démunis » ; tous, le résultat du «
capitalisme » et du « libéralisme ». De ce
fait, les candidats dits de gauche, voire
d’extrême gauche, semblaient étrangement sur
la même longueur d’onde que Mme Le Pen quand
ils invectivaient banquiers et
multinationales.
Face Ă elle, Emmanuel Macron, autre favori au
premier tour de l’élection et donné comme
gagnant du deuxième, répétait inlassablement
que tout en Ă©tant social il Ă©tait
principalement progressiste et pragmatique,
et ouvert Ă la globalisation et Ă la finance.
Le jeune énarque — ancien banquier d’affaires
et conseiller de M. Hollande, qui en a fait
son ministre de l’économie — ne se reconnaît
pas non plus dans l’échiquier politique
classique. Il refuse d’être qualifié de
gauche, encore moins de socialiste, mais il
n’est pas davantage de droite. Les affiches
de son jeune parti, En Marche! prĂ´ne le
slogan « La France doit être une chance pour
tous ».
Certains, comme l’ancien ministre de
l’éducation François Bayrou, voit dans cette
rhétorique le retour du centre dans le jeu
politique, mais M. Macron récuse aussi cette
idée. Il se veut d’abord partisan du
renouvellement de la classe politique — un
des leitmotivs favoris du Front National,
justement. Mais contrairement Ă Mme Le Pen,
M. Macron est un européaniste convaincu. Il
croit en l’euro. Il ne voit pas l’immigration
comme une calamité. Il ne croit pas que
l’identité française soit en péril, que la
culture nationale soit menacée par
l’islamisation ou qu’il faille se méfier de
la technoscience.
Au lieu de la polarité classique droite-
gauche, les deux candidats favoris Ă
l’élection présidentielle incarnent une
polarité entre populisme et libéralisme, au
sens large.
Il ne faut pas confondre populisme avec
démagogie, la pente naturelle des démocraties
représentatives qui consiste à séduire les
électeurs plus qu’à les convaincre. Le
populisme n’est pas non plus le fait d’être
proche du peuple. C’est le fait de parler Ă
sa place et de prétendre être porteur d’un
sens commun incritiquable. En particulier, il
s’agit d’exprimer l’émotion d’un peuple qui
se sent diminué, encerclé et perdu. Le
discours populiste est nostalgique d’une
puissance passée et rivé à la défense éperdue
de l’identité.
Alors que l’antisémitisme des années 1930
s’appuyait sur l’angoisse de la
désintégration de l’identité biologique,
l’islamophobie de notre siècle s’appuie sur
l’angoisse de la désintégration de l’identité
culturelle. Et la lutte contre l’infiltration
islamique dépasse le clivage droite-gauche en
visant Ă la fois les successeurs putatifs des
Sarazins ennemis de l’Europe chrétienne (ce
qui mobilise les Ă©lecteurs dits de droite) et
une religion musulmane qui remettrait en
cause les acquis de la modernité, l’égalité
homme-femme et la liberté d’expression (ce
qui mobilise les Ă©lecteurs dits de gauche).
Ces électeurs en oublient leurs intérêts
concrets, parfois antagonistes, Ă la faveur
du sentiment commun d’encerclement culturel.
Lorsque Mme Le Pen parlent des pauvres, des
exclus, des ouvriers, des agriculteurs ou des
commerçants, elle vise un seul peuple meurtri
par la globalisation, l’Union européenne,
l’euro, l’immigration et l’islamisation.
L’inquiétude du naufrage culturel date
d’environ une génération : après la
décolonisation, c’est l’intervention
américaine en Irak de 2003 qui a cruellement
démontré à la « vieille Europe » la perte de
sa puissance impériale. Le populisme nourri
par ce malaise semble simplement avoir
atteint son point culminant à l’occasion de
cette élection présidentielle.
Le mouvement En Marche! de M. Macron
représente la première organisation de grande
envergure à s’opposer à cette mouvance — mais
selon des modalités sortant elles aussi du
clivage droite-gauche traditionnel. A la
nostalgie du passé et à l’angoisse du peuple
meurtri, M. Macron substitue une vision
positive de l’avenir, réhabilitant au passage
le sens originel du libéralisme, comme
doctrine promouvant les libertés
individuelles.
Au début des années 1980 on avait pris
l’habitude de dire, à partir de la devise de
la République française « Liberté, Egalité,
Fraternité », que la priorité de la droite
était la liberté et la priorité de la gauche,
l’égalité. Le mot « libéralisme » lui-même
Ă©tait progressivement devenu un repoussoir Ă
droite comme à gauche, surtout lorsqu’on lui
adjoignait le préfixe « néo ». Le « néo-
libéralisme » était devenu l’antivaleur
française, l’image de l’injustice sociale et
de la sauvagerie du marché.
En réalité, la droite était plutôt libérale
économiquement et plutôt réactionnaire sur
les questions sociétales (mœurs, sexualité),
alors que la gauche était libérale sur les
questions sociétales et étatiste sur les
questions Ă©conomiques et sociales.
M. Macron rompt aujourd’hui avec cette
polarité, car son libéralisme s’applique sur
toute la ligne, de la dimension sociĂ©tale Ă
la dimension Ă©conomique.
Mme Le Pen s’en écarte également mais, pour
sa part, en développant un programme
réactionnaire sur les questions sociétales et
Ă©tatiste sur les questions Ă©conomiques et
sociales.
Ainsi les deux candidats présentent des
visions antagoniques de la globalisation, de
l’Europe et de la laïcité. Du côté Le Pen, la
laïcité, par exemple, est défensive,
privilégiant la culture française contre la
religion de l’étranger. Du côté Macron, elle
est libérale, et privilégie la liberté de
culte.
Cette évolution n’est pas unique à la
politique française. La chancelière allemande
Angela Merkel présente un autre exemple
probant. Issue de la démocratie chrétienne
dite de droite, elle poursuit, notamment en
matière d’immigration, une politique qui
sociétalement est proche des positions de
type social-dĂ©mocrate couramment associĂ©es Ă
la gauche.
Une nouvelle opposition idéologique semble
donc être en train de redéfinir le discours
politique en France, et ailleurs en Occident:
le protectionnisme Ă©conomique et identitaire
des populistes, face à l’ouverture à l’Europe
et la globalisation des libéraux. La gauche
et la droite ne seront bientĂ´t plus que les
vestiges d’un XXème siècle bien révolu.
Raphaël Liogier , professeur à Sciences
Po Aix-en-Provence et au Collège
International de Philosophie Ă Paris, est
l’auteur de La guerre des civilisations
n’aura pas lieu. Coexistence et violence au
XXIème siècle.
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